Avis de la team :
Noé et Katia
Boussole ludique
Médias
Civolution
1 à 4 joueurs
Auteur : STEFAN FELD
Illustrateur : DENIS LOHAUSEN
Editeur : DEEP PRINT GAMES (VF Grail Games)
Après Bonfire qui avait fini 3ème en 2021 et Marrakesh qui a gagné le diamant d’or en 2023, Feld nous revient avec son premier jeu de Civilisation, et un de ses jeux les plus experts. Peut-il faire le doublé avec un genre qu’il aborde pour la première fois ?
THÈME :
Dans cet eurogame, vous êtes étudiant.e à l’Académie Technique de la Création et vous passez votre examen final de design de Civilisation. Armé.e de votre console, sorte d’ordinateur personnel customisable, vous allez être plongé dans une simulation de création de civilisation : vous débarquez sur un continent isolé et inexploré en tant que divinité locale. Vous allez ainsi devoir faire preuve d’adaptation et d’opportunisme, trouver votre rythme au sein du chaos ambiant et sortir votre épingle du jeu en marquant le plus de points possibles à travers différents domaines.
MÉCANIQUES :
Civolution est un jeu expert qui se dit de civilisation mais dont la mécanique principale, et c’est ce qui pourra en dérouter certain.e.s, est basée sur l’aléatoire de votre jet de dés (6 au départ). Comme dans tout bon Feld qui se respecte, vous allez devoir composer avec votre tirage personnel, heureusement pondéré par la présence habituelle et non négligeable de modificateurs de valeurs (les idées) mais également des marqueurs qui prendront la valeur que vous leur attribuez (les focus, plus difficiles à obtenir).
La partie se déroule en 4 manches et à chaque tour, vous allez devoir dépenser deux de vos dés (et / ou focus) pour réaliser une des actions présentes sur votre console (plateau personnel) représentées par l’ensemble des 22 tuiles de modules (souvent chaque module propose 2 actions au choix) qui se divisent principalement en trois grand axes :
- étendre votre civilisation par des naissances, de la construction de bâtiments, des migrations, de la production-revente de ressources et de la découverte de nouveaux territoires
- customiser votre jeu en produisant des idées et des focus, en effectuant des actions pour percevoir des revenus ou effectuer des actions (activités) récupérées sur des cartes précédemment jouées dans votre console ou encore récupérer des dés supplémentaires
- obtenir des cartes ou les jouer.
Ce qui est jouissif dans le jeu, c’est que chacune des tuiles actions de votre plateau va au cours de la partie, pouvoir être upgradée jusqu’à 3 niveaux pour vous fournir des actions plus efficaces. Bien entendu vous n’aurez pas le temps de tout faire : il vous faudra prendre des décisions cornéliennes quant à leur ordre d’amélioration et à celles que vous laisserez de côté.
Lorsqu’il vous reste 3 dés disponibles ou moins, vous pouvez procéder à une action de maintenance (reset, pour relancer vos dés déjà utilisés) et qui à la manière d’un Ark Nova, fera progresser un marqueur sur une piste de phase commune à tous les joueurs.
Au bout de 5 resets à 2 joueurs, c’est la fin de la manche, chaque joueur a le droit à une ultime action puis c’est un déroulé de phases successives et habituelles pour ce type de jeu, où vous devrez résoudre un événement (prérequis, majorité…), nourrir votre population au risque de la voir mourir, scorer des points pour un objectif commun, percevoir vos revenus (tuiles revenues acquises au fil du jeu + celle de départ), scorer votre présence en population (pas en bâtiments) etc.
Au cours de la partie, vous allez non seulement personnaliser vos actions, mais également construire un original tableau de cartes et de tuiles d’objectifs personnels accomplis au dessus de votre console, avec la contrainte d’une couleur ou un type de tuile par colonne. Plus la carte placée sera haute, plus elle rapportera de points en fin de partie mais plus elle sera coûteuse à engager. De surcroît, le jeu vous pousse à vous diversifier car les deux premières lignes complétées vous octroient des bonus alléchants, à savoir gagner une précieuse tuile de revenus (et l’activer immédiatement) mais également retourner l’une des tuiles qui fera scorer votre 3e puis 4e étage de cartes / objectifs.
Cet aspect, satisfaisant et très personnalisable, confère une tension permanente durant la partie car on veut avoir le temps de bâtir au mieux et de scorer dans les étages les plus hauts, au risque de ne pas avoir le temps de retourner les fameuses tuiles du 3e et 4e étage. De plus, la grande diversité des cartes assure une excellente rejouabilité car on n’emploiera jamais les mêmes d’une partie à l’autre, avec cette impression permanente de se construire son propre jeu.
En ce qui concerne l’aspect territorial, vous allez chercher à vous étendre sur les différentes régions (6 types en tout qui reviennent trois fois sur le plateau), afin de découvrir de nouvelles ressources (3 différentes par type de région, de la plus commune à la plus rare) placées face cachée aléatoirement en début de partie. Vous pourrez donc avoir le privilège de découvrir une ressource convoitée avant les autres. Vous allez également découvrir des tuiles lieux adjacentes à tous les territoires, qui vous permettront d’y construire des bâtiments ou vous octroieront des bonus / malus d’action : thématiquement lorsque vous explorer, vous ne savez jamais sur quoi vous allez tomber. Plus vous aurez de population un peu partout sur le plateau, plus vous marquerez de points et plus vous pourrez produire des ressources variées mais fatalement, plus vous aurez de bouches à nourrir.
Enfin, l’un des derniers aspects du jeu à ne pas négliger, consiste à monter sur différentes pistes de spécialisation (la culture, la connaissance, etc) qui sont un des moyens d’upgrader vos tuiles d’actions et de scorer à la fin de manche selon les objectifs tirés au départ mais surtout de scorer à la fin du jeu.
À tout cela, se greffent les tests de faveur qui viennent ajouter l’ultime grain de sable à vos plans déjà bien contrariés : vous allez devoir lancer un (ou plusieurs au fil de la partie) dé rose dits de « destin » qui dicteront si vous avez le droit à certaines actions supplémentaires ou si vous pouvez percevoir certains revenus. Encore une fois, l’aléatoire est ici aussi pondérable : leur réussite dépend de votre position sur une piste qui ajustera vos probabilités de succès au tirage jusqu’à 100% si vous parvenez au bout.
PREMIÈRES IMPRESSIONS :
Civolution est un jeu bac à sable totalement addictif qui vous laisse à chaque fin de partie sur un délicieux sentiment de frustration et un inévitable goût de reviens-y : malgré la durée du jeu (comptez environ 2h à deux quand vous commencez à maîtriser le gameplay), on a envie d’en refaire une immédiatement pour tenter une autre voie qui donnerait accès à d’autres bonus, privilégier par exemple l’axe des naissances avant un autre, upgrader une technologie plutôt qu’une autre , etc.
Civolution c’est clairement un puzzle game mixé avec de l’arbre de technologies où tout sera question de timing et d’une fine gestion de l’aléatoire. Au démarrage du jeu, vous avez envie de tout faire, vous prévoyez d’acheter beaucoup de cartes pour booster votre avancée mais la partie progresse et vous devez composer avec plein d’éléments – le tirage, la météo, l’événement et le scoring de la manche – qui viennent contrarier vos plans et vous obligent à trouver les meilleures parades pour arriver, un peu, à vos fins.
C’est le genre de jeu où vous allez sans cesse manquer de tout, être empêché à un dé près de faire l’action idéale mais qui saura vous récompenser avec certaines actions qui déclencheront soudain des bonus en cascade.
INTERROGATIONS, REMARQUES, PRÉCONISATIONS :
Civolution est un jeu exigeant avec un livret de règles touffu (mais dont la rédaction et la pagination exemplaires devraient servir de modèles dans le genre), qui demandera un engagement certain de la part des joueurs qui devront à la fois faire preuve d’anticipation et d’adaptation. Les actions sont certes logiques et fluides une fois le jeu appréhendé mais il y a énormément à expliquer et à avoir en tête pour parvenir à avoir une vision globale du titre. Katia a eu le sentiment d’être submergée à sa première partie par le nombre de possibilités et n’a pas tout de suite éprouvé beaucoup de plaisir. Pour ma part, j’aime les jeux qui résistent et nécessitent un réel apprentissage quitte à souffrir au démarrage. Au fil de nos parties, le jeu se laisse apprivoiser et déploie toutes ses possibilités, avec un équilibrage qui semble assez juste puisque malgré nos stratégies souvent opposées, l’écart de score est souvent réduit.
Dans les points faibles, certains pourront lui reprocher sa laideur, à l’image d’un Beyond the sun, très froid et proche du tableau Excel, assorti de cartes aux illustrations peu chaleureuses. Personnellement, nous trouvons que cela colle avec l’aspect école de civilisation, faisant la part belle à une iconographie extrêmement claire sur laquelle on ne se pose rapidement plus de questions.
Également, si en voyant le plateau principal vous vous attendez à de la bataille de territoire et à un jeu de majorité, vous serez rapidement déçu. L’exploration n’est là que pour servir le puzzle game et l’interaction positive étant contraignante pour l’« attaquant » (vous devez rendre votre ouvrier inactif si vous décidez d’expulser un autre joueur d’un emplacement pour des points – minimes de surcroît – et donc utiliser une autre action pour le réactiver), vous allez privilégier d’autres chemins (à voir à 4, mais la map est assez grande pour ne pas trop se gêner). Les bâtiments que vous allez construire au fil du jeu n’ont par exemple aucun impact sur un éventuel contrôle de zone et ne vous offrent pas d’avantages spécifiques autres que ceux débloqués sur votre plateau perso (à moins d’avoir une rare carte qui vous donnerait un bonus particulier, à la construction par exemple ou une carte événement qui récompense une présence spécifique mais cela ne représente pas le cœur du jeu en terme de points).
D’ailleurs, il suffit de lire la description sur la boîte pour comprendre que Civolution s’affiche clairement comme la recherche d’une customisation la plus optimale de votre arbre de techno moins que comme un véritable jeu de civilisation avec du conflit entre différents peuples.
Un peu comme Ark Nova, c’est le genre de jeu qui roule parfaitement à deux voire en solo : à part pour espérer qu’un de vos adversaires ouvre l’accès à un matériau éloigné ce qui vous permet de l’acheter à moindre coût ensuite, nous avons le sentiment que davantage de joueurs n’affecteraient pas tellement la face du jeu, tendant même à l’inverse à le rallonger inutilement.
EN RÉSUMÉ :
Civolution est certes un jeu complexe mais une fois les bases acquises, tout apparaît fluide et parfaitement lié. Il répond totalement à notre amour des eurogames assez solitaires avec une interaction limitée mais malgré tout assez bien dosée pour amener ce petit zeste de tension nécessaire. Le nombre incroyable de possibilités et la variété des axes de développement proposés en font un titre qui nous reste longtemps en tête après la partie et dont on aime à débriefer ensemble une fois le jeu terminé.
Assurément, une de nos plus belles découvertes de 2024 dans cette catégorie.
Présentation rapide de Civolution
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